« Papa’s garden », Chelles, France, 2021

Je vois tes vinyles, tes livres qui se retrouvent chez moi, pièces rapportées de tes habitudes, de tes passions, de tes obsessions. Un échantillon qui me rappelle à toi. Toi, qui n’es plus là pour en parler. De toutes ces idées échangées, de toutes ces écritures, de toutes ces musiques, de tout ce qui importait à tes yeux. Et aux miens.

Et cet amour gauchi par le sang aussi qui ne se vante pas, qui se dit dans la réserve de bouche closes et de regards portés vers la terre et l’eau salée dans laquelle tu vas désormais reposer.

Mon cœur, lui, continue de battre en pensant à toi.

A tes silences et à mes questions.

A tes suggestions sans avis tranchés qui laissent s’épanouir toutes les fleurs et qui épargnent aussi bien les mauvaises herbes que les insectes.

A tes quêtes d’absolu perçues dans la contemplation qui n’ont de cesse de m’inspirer.

Animer toute cette matière que tu as laissé derrière toi, tous ces cimetières. Ce que nous n’avons pas su faire ensemble, je le transformerai pour le manifester au mieux. Je m’amuserai à rugir, voire à rire de mes propres mots pour me rappeler de faire bouger ce monde flatté par tous les leurres qu’il a posé là, à nos pieds, ses illusions, pour l’animer là où il n’en peut plus, le secouer. Me secouer pendant qu’il est encore temps.

Je le sais maintenant, que nous continuons à palabrer dans ce jardin fait de nuages et de gaz qu’est l’univers, au point du jour comme à la tombée de la nuit, avec un café noir qui ne réchauffe plus nos mains, assis sur ces chaises bancales enfoncées dans ce gazon constellé de pâquerettes et de primevères au camaïeu de galaxies aussi mal tondu que les poils de ta barbe qui n’en finit plus de naitre et de mourir, de chercher la clarté dans la nuit de l’âme. Dans ta chevelure de petit prince qui a su abriter et cultiver la malice d’une magie si singulière. Ton regard bleu qui tire vers ce gris de banlieue parisienne dans laquelle tu m’as vue grandir et dans laquelle tu t’es vu vieillir. Tu l’auras enfin senti le soleil réchauffer ton visage et écarquiller tes yeux, tu l’auras entendue la cigale, et cette insulte du passant qui t’auras fait sourire une dernière fois. A presque en oublier les épines de ces rosiers malades et ce sol devenu trop terne pour continuer à accueillir la vie.

Tu n’as rien abimé qui n’ai été pardonné. Il aura fallu du temps, certes. Et des soupirs, et des errances. Mais nous avons fini par y arriver, à nous accepter, à nous apprécier et à nous aimer pour ce que nous étions, et ce que nous sommes devenus. Qu’elle aille donc en paix et dans la lumière, ton âme. Pour tout cela, pour m’avoir donné la vie, pour m’avoir accueilli dans la tienne et pour avoir accepté ma présence dans la vulnérabilité de ton dernier voyage, papa, je te remercie et je te dis que je t’aime.